Une situation déjà vécue en mai 68

Actualités - 07 avril 2020

 

Une situation déjà vécue en mai 68 

Gérant de trois magasins à Paris, Olivier Lesecq rappelle que la crise actuelle a connu des précédents en termes d’arrêt d’activité et, qu’en raison de sa longue fréquence d’achat, la cuisine équipée pourrait connaître un report important d’affaires non signées au cours de cette crise. Voici aussi ses conseils pour traverser cette période singulière.   

 

Culture Cuisine : Quel est votre sentiment sur cette crise inédite, ses causes et ses enseignements ?    

Olivier Lesecq : « Cette crise est avant tout la conséquence finalement logique de l’accélération de l’expansion des échanges internationaux. Personne ne l’a vu venir dans son amplitude ni dans sa vitesse de propagation. Les cuisinistes subissent les effets d’un jeu de dominos, l’arrêt d’activité d’un élément de la chaîne entraînant l’arrêt de toute la filière en aval. Dès le 17 mars, j’ai ainsi dû subir l’arrêt de travail des transporteurs, m’empêchant ainsi de recevoir des ensembles de cuisines et donc de les livrer chez mes clients. En amont, les usines ne pouvant pas stocker leur fabrication, toute la chaîne a dû s’arrêter de tourner. Les sites français et italien se sont mis à l’arrêt dès le début du confinement et si certaines chaînes de production tournent encore en Allemagne, leurs cuisines connaissent des problèmes de livraison pour traverser la frontière.  

 

Culture Cuisine : Comment vivez-vous le confinement depuis le 17 mars ?  

Olivier Lesecq : Le samedi 14 mars au soir, nous avons fermé le magasin, en prenant les dispositions pour ne plus recevoir de clientèle selon la consigne gouvernementale à partir du 17 mars Noua avons aussi réfléchi dans l’urgence à la meilleure façon de répondre entre-temps aux rendez-vous prévus et de terminer les dossiers en cours. Au cours de la semaine suivante, nous avons épuré tout notre retard de dossiers à traiter et notre back office, en tentant de réaliser la livraison des matériels que nous avions déjà. Cela n’a pas été aisé, car mon transporteur m’a précisé que près de 30% de ses livraisons, pas seulement les miennes mais aussi celle d’autres marques et magasins, ont dû être annulées, car les clients les ont refusées de crainte d’être contaminés par le Covid-19. Peut-être pour les mêmes raisons, ou alors parce qu’ils se sont montrés compréhensifs, nos clients ont été particulièrement conciliants lorsque nous leur avons proposé de décaler nos rendez-vous (un réflexe que nous avons pu aussi constater dans d’autres régions de France et secteur d’activité de l’artisanat, ndlr).  

L’annonce du confinement ne m’a pas effrayé, car mon père m’avait expliqué il y a quelques années qu’il avait connu une situation identique. Il gérait alors l’entreprise familiale en meubles et buffets de cuisine dont j’ai repris la succession en 1990 pour la spécialiser en cuisines aménagées. C’était durant les événements de mai 1968. Depuis le mois d’avril et jusqu’à la fin juin de cette année, soit pendant près de trois mois, les commerces avaient cessé toute activité et mon père en avait profité pour refaire la salle de bains et d’autres travaux dans la maison familiale. Certes, il n’y avait pas de crise sanitaire comme aujourd’hui, mais il y avait un véritable climat insurrectionnel dans la capitale (avec les barricades et les charges de CRS), voire dans la France entière, qui rendait incertaine toute conjecture sur l’avenir et qui était défavorable aux affaires. Plus récemment, nous avons à moindre degré connu les effets néfastes de la Guerre du Golfe en 1991, qui avaient généré une psychose (les gens faisant des provisions excessives de sucre et de pâtes), puis un frein durable dans les achats de forts investissements (immobilier, cuisine équipée). Je pense d’ailleurs que la résilience sera cette fois plus forte et que l’activité économique repartira plus vite.

 

Culture Cuisine : Comment envisagez-vous la reprise lorsqu’elle se produira ?  

Olivier Lesecq : Les cuisinistes ne subissent pas la même situation que les restaurateurs ou les sociétés du spectacle qui perdent chaque jour des affaires ne pouvant pas être rattrapées. Personne n’achète une cuisine équipée chaque jour, ni chaque mois, ni même chaque année. Aussi peut-on raisonnablement penser que les projets qui n’ont pas aboutis au cours de ce confinement seront de nouveau mis en œuvre lorsque la situation sera revenue à la normale, à la rentrée de septembre ou cet été. Nous connaîtrons en revanche peut-être des problèmes de délais de livraison, selon les degrés de réactivité des sites de production. 

Il ne sert à rien et il serait de toute façon mal venu d’engager actuellement des actions de prospection, les consommateurs n’ayant pas l’esprit à l’achat de cuisine, ou d’autres biens d’équipements, les magasins étant fermés jusqu’à une date encore inconnue. De toutes façons, si le gouvernement autorisait leur réouverture, je resterais quant à moi fermé, car il n’y a personne actuellement dans les rues et cela reviendrait à ouvrir mon magasin le 14 juillet. Je ne compte pas ne rien faire pour autant en attendant la reprise. C’est pourquoi je procède actuellement à des travaux d’aménagement dans l’un de mes magasins. Je mets aussi à jour mon site Internet. Le meilleur moyen de subir le moins possible le confinement est de profiter du temps libre qui nous manquait auparavant pour entreprendre des actions et des réflexions, afin d’être le plus efficace lorsque l’activité repartira. Je mets aussi à jour mon site Internet. Le meilleur moyen de subir le moins possible le confinement est de profiter du temps de libre qui nous manquait auparavant pour entreprendre des actions et des réflexions afin d’être le plus efficace lorsque l’activité repartira.

Cette crise risque d’être particulièrement difficile pour les gros magasins de cuisine des enseignes nationales de fabricants ou de distributeurs, car s’ils peuvent bénéficier du report de paiement de leur loyer commercial, celui-ci est souvent élevé en raison de leur surface et de leur emplacement et ils doivent aussi payer des charges importantes au regard de leurs effectifs salariés. Or, le manque à gagner risque d’être plus compliqué à rattraper, car leur rythme de fonctionnement nécessite en temps normal la vente de nombreuses cuisines pour assurer l’équilibre financier. Je pense que leurs franchiseurs respectifs les aideront, car ils disposent de moyens financiers massifs. De leur côté, s’ils ont moins de moyens, les cuisinistes indépendants et traditionnels ont aussi moins de besoin et devraient mieux résister.

De manière sociétale, on nous parle beaucoup déjà du monde d’après la crise en espérant que les choses changeront radicalement. Je n’en suis personnellement pas convaincu car la nature humaine restera la même et, au-delà des beaux gestes de solidarité et de discipline générale, nous pouvons déjà en voir de mauvaises manifestations dans des comportements très contestables. 99 % de l’humanité sont et resteront animés par le souci d’un meilleur confort personnel et du profit. Faire prospérer et surtout appliquer d’autres valeurs sera donc compliqué, car les gens auront la mémoire courte. Cela dit, on peut être positif et espérer que certaines choses évolueront dans le bon sens. »

 

Propos recueillis par Jérôme Alberola

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