La qualité allemande, faux syllogisme en cuisine équipée ?

Actualités - 23 mai 2017

La qualité allemande, faux syllogisme en cuisine équipée ?

Elle est mise en avant comme argument irréfragable dans le nouveau spot de pub TV de Conforama, première enseigne française d’ameublement. De quoi s’en inquiéter, s’en indigner ou se rassurer ? Analyse et réponses.

Voici une publicité qui aura fait grincer des dents chez les professionnels de la cuisine équipée ! Quoi ? Comment ça, laquelle ? Vous n’avez pas la télé ? Des retards de paiement de vos factures EDF ? Vous travaillez de nuit sur une plateforme offshore et dormez la journée ? Etes narcoleptique ? Trêve de plaisanterie et de bouchon poussé trop loin dans la bouteille de l’ivresse du buzz. La publicité dont il est question a provoqué la réaction de quelques cuisinistes et observateurs de la filière, qui nous ont contactés pour nous faire part de leur agacement, indignation, simple amusement ou crainte que ce spot génère dans la population une image négative de la cuisine française au profit de la concurrente allemande. De fait, rien n’interdit de croire qu’elle pourrait nourrir quelque sentiment de ce genre, déjà entretenu par l’industrie germanique d’autres secteurs – automobile au premier chef, à coup de « deutsche qualität » devenu slogan irréfragable par son simple énoncé.

C’est que - fin du suspense insoutenable - la publicité que Conforama diffuse actuellement sur diverses chaines de nos grands écrans plats (on ne parle plus de « petites lucarnes » ni de l’ORTF depuis le remplacement des buffets de cuisine par des ensembles intégrés), devrait être vue largement et plusieurs fois par nos compatriotes. La télévision demeure en effet le média le plus regardé par le grand public nolens volens, formule latine dont la traduction moderne pourrait être en la circonstance « comme des Charolaises (à mettre traire ou chausser) avachies sur le canapé en cuir de leur aînée, ou attentifs aux scènes présentées). Car si les moins de 30 ans privilégient Internet, ils n’en regardent pas moins pour autant certaines émissions TV entrecoupées, précédées ou suivies de spots de pub.Et Internet a aussi permis à celui-ci d'être visionné près d'un million de fois, à la date de ce jour 23 mai 2017 !

Que montre donc le film de 30 secondes de Conforama qui suscite les réactions décrites plus haut ? Pas grand-chose en vérité, et en tout cas pas de quoi réarmer la ligne Maginot : on y voit un père et sa petite fille lécher quasiment la vitrine d’un cuisiniste dégouté d’envie non assouvie devant un ensemble équipé qu’il pourrait acheter qu’à condition « d’oublier la nouvelle voiture, de tirer un trait sur les prochaines vacances ou de dépenser toutes vos économies (du père) et les siennes (de la fillette) », dixit une voix off dont un changement de plan révèle être celle d’un vendeur de Conforama qui déclare que ces conditions sont bien réelles et que c’est pourquoi Conforma patati-patata, « depuis 50 ans », « qualité accessible à tous » (argumentaire classique). Jusque-là, c’est de bonne guerre commerciale et pas de quoi aller réveiller votre chat innocent même si fourbe pour le fouetter sans autre forme de procès. Mais, comme le dit l’adage latin (encore un, car vous bénéficiez exceptionnellement aujourd’hui d’un lot de deux pour le prix d’un !) : in cauda venenum. Littéralement : dans la queue le venin, l’expression étant usitée à propos de discours neutre ou flatteur, mais se finissant par une phrase assassine. Cela donne « notre sélection de cuisines, qualité allemande » dans la bouche du vendeur de Confo qui, en guise de démonstration irréfutable, tape de la phalange sur le plan de travail et invite du geste à écouter le bruit éclatant de vérité, voire le silence qui s’ensuit, comme celui suivant la musique de Mozart est attribué au génie de Salzbourg.

Certes, comme on l’a rappelé, mentionner la bonne réputation des produits manufacturés venus d’outre-Rhin n’est pas chose nouvelle. Mais ce qui est inédit est que cela soit prononcé ici dans la langue de Molière, non par un fabricant allemand de cuisine, mais par la première enseigne française d’ameublement dans l’esprit du grand public, qui ignore de fait qu’elle est passée sous le pavillon du conglomérat sud-africain Steinhoff International. Comme il ignore le nom du fabricant des cuisines vantées, Nobilia, dont le paradoxe est d’être le premier constructeur européen (sinon mondial), tout en étant une marque inconnue du grand public français. Comme il ignore enfin, par la logique des MDD et la magie du no-name, que la même qualité allemande des cuisines vantée par le vendeur de Conforama est aussi proposée par les autres enseignes qui distribuent aussi du Nobilia, à savoir But (concurrent direct de Conforama), Darty, Atlas, Aviva, ainsi que par Cuisine Plus, Ixina Cuisines Références (regroupée sous la holding FBD que la société germanique a achetée l’an passé).

Coup de provoc aux dépens des fabricants français, diront les uns, estimant que cette assertion laisse entendre que la qualité ne peut être qu’allemande, telle une évidence, en matière de meubles de cuisine. D’autres se rassureront en estimant que cette même association d’idées érafle en réalité l’image des cuisines germaniques synonymes de qualité premium, voire haut de gamme, en termes de solidité comme de positionnement statutaire. Et d’argumenter leur thèse en rappelant que, Conforama ayant bâti son succès sur la démocratisation de l’achat de meubles à bas prix pour la population la plus large possible, les produits qui sont référencés dans ses magasins ne peuvent qu’appartenir à ce segment accessible, donc low-cost par extension. La même démonstration voudrait, par un retournement de faux syllogisme, que si la qualité allemande est le fait des enseignes d’entrée de gamme (le modèle présenté dans le spot de pub est annoncé à 849, 90 € - on notera les 90 centimes, censés éviter de peu une barrière psychologique de 850 €), on pourrait en déduire que la qualité française est à l’inverse synonyme de haut de gamme. L’argument devient spécieux pour se muer en argutie. Car s’il est vrai que les usines allemandes sont les mieux équipées en parc machines pour produire en grande quantité susceptible pour couvrir tous les marchés européens à des prix réduits (seules celles d’Ikea et des deux leaders français que sont les groupes Schmidt et Fournier ont cette capacité), il est tout aussi vrai que ces volumes s’accompagnent, via les modernes process de fabrication tendant vers le zéro défaut, de qualité sans cesse améliorée. Et il est encore plus vrai, et significatif sans doute, que le haut de gamme demeure le domaine réservé de marques allemandes ou italiennes. Les responsables de la communication de Conforama l’ont probablement bien compris…