Tel est le titre, sous forme de déclaration d’amour, d’un chapitre du livre Chez moi, mon miroir, dans lequel Nanda Melo, architecte de formation, invite à une réflexion sur la relation intime entre l’espace et l’identité. Alternant entre design d’intérieur et introspection, cet essai propose des pistes concrètes pour repenser son habitat et en faire un véritable reflet de soi. Notamment la cuisine, « endroit de la maison pour lequel il faut se poser la bonne question. » Dans ces bonnes feuilles, l’auteure en pose plusieurs pour cette pièce, intriguée par cette pièce de vie qu’elle a « appris à considérer comme un espace sacré. »
pas besoin de cuisine. Mon esprit était entièrement occupé à dessiner ma maison idéale, l’architecture étant ancrée en moi depuis toujours. Dans chacun de mes croquis, il y avait de vastes salons, d'immenses dressings, des salles de bain splendides, des chambres suffisamment grandes pour accueillir un lit et des plantes, des jardins dignes de rois… mais jamais de cuisine.
Aujourd’hui, adulte installée dans le pays de la haute gastronomie depuis plus de dix ans, j’avoue qu’on ne vit pas sans cuisine ! J’ai fini par comprendre la richesse culturelle que l’acte de cuisiner incarne. J’apprécie désormais les détails délicats posés sur les assiettes étoilées, comme une véritable œuvre d’art !
D’ailleurs, ma vision de la cuisine quotidienne a évolué. Je n’ai toujours pas envie de passer ma vie soumise à une gazinière, mais j’ai appris à considérer la cuisine comme un espace sacré. À chaque réunion familiale, nous nous retrouvons tous autour des « fourneaux », en attendant que le repas soit prêt à être servi.
Peu importe la taille de la cuisine ou le nombre de convives, cet espace est aussi généreux que le cœur d’une mère : malgré tout, il y a toujours de la place pour une personne de plus. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à prêter davantage attention aux cuisines des autres.
En réalité, c’est fascinant de voir à quel point ce lieu peut en dire long sur ceux qui l’utilisent. Honnêtement, je n’ai jamais mis les pieds dans une cuisine (quelle que soit sa taille) sans que quelqu’un ne me lance, en soupirant : « Je n’ai pas de place pour cuisiner ici. »
Et là, en observant de plus près, tout devient clair. Le plan de travail est envahi par une multitude d’équipements : un blender, un mixeur, un appareil à raclette, un plongeur, une machine à faire de l’eau gazeuse, une cafetière, un robot, une bouilloire, un grille-pain, des porte-couteaux, des planches à découper, un cuiseur-vapeur, des paniers de fruits, et ainsi de suite… et ainsi de suite !
Parfois, ils sont posés là, car ils ont été choisis pour leur design, alors, vu le prix, il vaut mieux les exposer, non ? D’autres fois, ils sont en vue uniquement pour qu’on n’oublie pas qu’ils existent et qu’il reste à s’en servir, même si cuisiner sans eux, ça irait certainement plus vite et ce serait sûrement plus agréable… – après usage, il faut en plus, tout nettoyer, ranger, etc.
Alors, mettons tout ceci sur le plan de travail, car tout simplement, il ne reste plus de place dans les placards ! Les tiroirs sont remplis à ras bord, les étagères dégorgent « de choses et de choses », et parce qu’on ne trouve plus le couteau à huîtres quand nous en avons besoin, on finit par en acheter un autre pour l’occasion.
Bon, je ne m’attarderai pas au sujet des nombreux ustensiles inutiles que nous pouvons tous avoir dans une cuisine. À ce stade, j’espère que vous vous appuyez bien sur le chapitre « Conquérant de l’essentiel » afin de traverser cette phase difficile du « détachement ». En attendant que cela se fasse, parlons un peu du lieu « cuisine ». Sans passer par toute l’histoire de la présence de la cuisine dans un habitat. En effet, pour les curieux je vous invite donc à chercher sur ce sujet, c’est vraiment super-intéressant. Cependant, cela n’est pas l’objet de ce chapitre.
Bref, certains disent que la cuisine est l’âme d’une maison. Et je pense vraiment être d’accord avec cela aujourd’hui. Ce lieu a toujours été le plus compliqué pour moi à concevoir. Non seulement cela dépend de beaucoup de paramètres ergométriques, mais de nombreuses questions d’usage se posent. D’abord : cuisine ouverte ou fermée ? Peut-être semi-fermée pour ne pas laisser passer les odeurs.
Ensuite : « Qui cuisine et à quelle fréquence ? Est-ce qu’on met le four en hauteur ou sous le plan de travail ? Des armoires à toute hauteur ou juste un plan de travail bas ? Îlot ou pas d’îlot ? « Frigo encastré ou posé ? Plans de travail en pierre ou stratifié ? », telles sont les questions à se poser.
Enfin, je pense que vous et moi, nous serions capables de remplir une page entière avec toutes les éventuelles questions qui nous viennent, quand il s’agit d’aménager une cuisine.
Mais s’il y a bien un endroit de votre maison pour lequel il faut se poser la bonne question, c’est la cuisine, car contrairement à un canapé dans un salon, on ne déplace pas les fourneaux des cuisines à chaque changement d’humeur. Alors, êtes-vous heureux(se) quand vous préparez le petit-déjeuner le dimanche matin ? Est-ce que la vue est belle pendant que vous cuisinez ? Pouvez-vous « papoter » avec votre ami en buvant un verre et en cuisinant ? L’éclairage est-il suffisamment bien pensé pour chaque place sur le plan de travail ? Et si c’est une question de budget, pourquoi ne pas juste refaire la peinture des armoires ou changer les poignées ?
Aussi, j’ai conscience que le budget pour refaire une cuisine n’est pas forcément le même que celui de changer des coussins au salon, mais tout est une question de priorité et vraiment, parfois, il ne faut pas beaucoup de moyens pour des petits changements réels.
Vous voyez, là, le tiroir du bas qui a du mal à se fermer : il y a des vis qui ont lâché, on n’a jamais le temps de les changer ! Et la porte qui tombera un jour, car les charnières ne tiennent plus ! Vous les voyez toutes ces petites choses dans votre cuisine qui vous énervent depuis le bon matin, quand vous venez préparer votre café ou votre thé ? Je suis persuadée que toutes les choses qui ne fonctionnent pas dans un espace, de la lampe « cramée » à la vaisselle cassée, nous induisent à penser que notre vie ne fonctionne pas non plus ! Plus on accepte cela, plus on finit par croire que notre vie va vraiment mal.
Finalement, pourquoi faire l’effort pour réparer le tiroir, ou la porte, ou le grille-pain ? Vous pourriez vous dire « À quoi ça sert à quoi, si rien d’autre n’a du sens ? » Mais croyez-moi, le beau et le bon ont l’énorme pouvoir de donner du sens à la vie. Et si c’est juste une question financière, des alternatives existent pour adapter, créer, changer. »
Chez moi, mon miroir de Nanda Melo vient de paraître aux éditions Amalthée.
Visuel en haut à droite : Le pauvre et inventif chercheur d’or mangeant sa chaussure dans sa cabane sans cuisine, dans le chef d’œuvre de Charlie Chaplin La Ruée vers l'or (1925, United Artists)
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