Pourquoi les cuisinistes français boudent-ils les salons ?

Actualités - 06 mars 2015

Dans la suite de notre article du 23 janvier « Que veulent les cuisinistes ?», l’actualité récente a posé la question de la pertinence des salons, en particulier ceux à vocation professionnelle. En effet, le consensus des fabricants allemands s’est fait sur le très faible nombre des cuisinistes français s’étant rendus en janvier à la troisième édition de LivingKitchen. Le constat a légitimement surpris pour deux raisons. La première réside dans l’importance de la manifestation biennale de la cuisine à Cologne, événement majeur de la filière européenne, comme l’a démontré à contrario la forte participation de visiteurs internationaux y compris venus de la lointaine Asie, dont la convoitée et prometteuse Chine. Ensuite, le fait que la quasi-totalité des exposants étaient allemands ne doit pas être interprété comme un frein à la venue de cuisinistes français. Au contraire ! Les marques germaniques sont les leaders incontestés dans leur pays, mais aussi dans l’ensemble de l’Europe, le suédois Ikéa faisant exception en étant d’ailleurs considéré avant tout comme un distributeur. Ces mêmes marques germaniques sont aussi les plus attractives pour les cuisinistes européens, dont les français, comme en témoigne leur progression dans l‘Hexagone depuis plusieurs années, ceci dans tous les segments de gamme et malgré la crise. En attestent leurs efforts validés en premium, sur lequel elles n’ont que quelques marques italiennes comme concurrentes.

 

Certes, justement, pour attirer des visiteurs professionnels de la filière cuisine, rien n’est plus efficace que des exposants italiens, dont la réputation de design précède les présentations de gammes parfois très convenues. Cela explique l’incomparable succès cosmopolite d’Eurocucina et la venue moins éparse de cuisinistes français à Milan, où le salon de la cuisine, biennal lui aussi, se tient les années paires, en alternance avec LivingKitchen. Venue moins éparse mais pas massive pour autant car, n’en déplaise à l’enthousiasme de certains observateurs, provoqué sans doute par une agréable surprise ou un simple soulagement, les cuisinistes ne traversent pas les Alpes au printemps par TVG ou A320 entiers ! De fait, on peut se demander pour quelles raisons les spécialistes cuisine boudent-ils les salons censés les concerner directement ? En réalité, au-delà de formulation journalistique, « boudent » n’est pas le terme approprié, car il suggère une attitude irrationnelle née d’un réflexe épidermique et révélant une mentalité capricieuse. Ce qui n’est évidemment pas le cas, cette désaffection n’étant pas un désamour et s’expliquant par une logique, dont voici les ressorts tendus par l’évolution de la filière sectorielle de la cuisine équipée.              

 

Dans les années 1990, les salons Espace Cuisine & Bains (dans la suite des Arts Ménagers) à la Porte de Versailles, et Confortec (pour l’électroménager) à Villepinte se tenaient à un rythme biennal, pour se caler sur la fréquence de renouvellement des grandes collections, que les industriels changeaient en grande partie (surtout en mobilier de cuisine) tous les deux ans par qui attendaient à leur tour la tenue de ces manifestations pour présenter le maximum de nouveautés. Puis les renouvellements des gammes se sont fragmentés dans le temps en deux, trois ou quatre fois tous les deux ans. Aujourd’hui, on assiste à l’arrivée régulière de nouveaux modèles. Ainsi, les professionnels de la filière s’accordent à constater que les modèles exposés à LivingKitchen de janvier l’ont déjà été en avant-première à la MOW de septembre, Cologne servant avant tout d’efficace plate-forme d’échanges commerciaux, conformément à la nature et à la réputation des manifestations professionnelles en Allemagne. Les moyens de communication ont muté encore davantage que les salons et provoqué à la fois une accélération du flux d’informations et leur dématérialisation. Les sites Internet des fabricants permettent à leurs distributeurs, à ceux qui souhaiteraient le devenir et aux consommateurs, de s’informer en temps réel, immédiatement et sans se déplacer de leur magasin ou de leur foyer. Dans d’autres secteurs d’activité, il existe d’ailleurs des salons virtuels permettant des rencontres et des découvertes de produits ou services, via son ordinateur. De plus, les fabricants de cuisines français ou étrangers organisent régulièrement des voyages sur leur site de production et dans leur show-room attenant pour prendre le temps d’expliquer les évolutions de leurs nouveaux modèles. Les cuisinistes entretiennent aussi des rapports avec leurs fournisseurs au gré de réunions régionales durant lesquelles sont abordés les politiques commerciales, grilles tarifaires et autres sujets nourrissant la réflexion des distributeurs pour leur choix de référencement ou leur décision de déréférencement. Dès lors, nombre d’entre eux considèrent moins utile, a fortiori essentiel, de se rendre à un salon, percevant de tels déplacements davantage comme une dépense (voyage, hébergement, frais divers) que comme un investissement. S’y ajoute la crainte, toujours forte et légitime en temps de crise, d’un manque à gagner provoqué par la fermeture du magasin durant une journée ou par la simple absence du patron, les effectifs des spécialistes indépendants étant très réduits.              

 

Il ne s’agit pas ici de donner tort ou raison aux cuisinistes français, mais d’expliquer leurs raisons. Certes, certains lecteurs pourront rétorquer que tout ceci est contredit par les bilans de salons de cuisine, y compris en France, qui annoncent à chaque édition des hausses de fréquentation. C’est oublier que ces bilans sont « officiels » et qu’ils sont rédigés par les organisateurs qui sont à la fois juge et partie. Bien sûr, une telle augmentation est tout à fait probable pour un salon comme LivingKitchen à l’aura internationale et pour lequel la faiblesse du visitorat français (représentant de toute façon une part minime du total des entrées) n’a pas d’incidence face à l’afflux de cuisinistes allemands et étrangers. Ces derniers ne venant pas (ou de manière très marginale) dans les salons français, les résultats de fréquentation traduisent ce syndrome national, ce qui ne n’empêche pas les organisateurs d’annoncer – telle une tradition – à chaque fois une nouvelle hausse des professionnels arpentant stands et allées. Attirer des exposants pour l’édition suivante en dépend.

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