Normalien devenu réalisateur de documentaires, enseignant d’histoire de l’architecture et de la ville à l’Institut polytechnique, Jean-Louis André vient de publier Notre chez-soi, la maison des Français depuis les Trente Glorieuses aux référentielles éditions Odile Jacob. Conjuguant histoire économique et sociologie, ce livre fort intéressant rappelle que, sous ses diverses formes, du fonctionnel appartement au pavillon idéalisé en passant par la nomade caravane, la maison, révélant l’intériorité des Français, a depuis 1945 suivi des mutations qui, dans un rapport permanent de cause à effet, ont suivi et généré de nouvelles attentes. La cuisine a suivi cette évolution, comme le précisent ces extraits.
Début des années 1950 :
« C’est la grande époque des “appartements témoins” qui permettent aux jeunes ménages d’imaginer leur futur sur pièces. Certains d’entre eux ont été présentés au Salon de l’architecture de 1947. L’année suivante, ils ont été les attractions du Salon des arts ménagers qui a rouvert ses portes au Grand Palais. À présent, les voici sur papier glacé, images idéalisées d’un bonheur ménager que le progrès met à notre portée.
Et pourtant. Pourtant, la réalité, pour beaucoup de Français, est bien différente. Dans leur appartement du troisième étage, sans ascenseur, en plein centre de Marseille, mes grands-parents vivent bien loin de ce confort. Il faut, martèlent les magazines, fusionner le salon, trop souvent inoccupé, avec la salle à manger. Mais, pour eux, la question ne se pose pas : ils prennent leur repas à la cuisine, ils n’ont pas de salon, et la porte de leur salle à manger, au bout d’un interminable couloir, ne s’ouvre que pour les réunions familiales. »
Des logements en masse (1955-1975) :
« D’un étage à l’autre, les mêmes programmes de télévision, les mêmes activités, les mêmes pièces : l’uniformité est le prix à payer pour accéder au “confort”. Mais que désigne ce terme, au juste ? En ancien français, le mot signifiait l’aide et le secours. Les Anglais s’en sont servis pour désigner une forme de bien-être purement matériel, et c’est avec ce sens que le mot est revenu chez nous. Un appartement “tout confort”, ces années-là, c’est un intérieur bien conçu, sans pièces traversantes, qui distribue clairement le jour et la nuit et qui fait la chasse aux “espaces perdus”. Une réponse fonctionnelle à des besoins réels ou identifiés comme tels. »
« Nous (Français, ndlr) sommes alors les plus grands consommateurs du monde de caravanes. Notre parc passe de 400 000 en 1972 à 1 450 000 en 1983. Bien que le concept soit importé des États-Unis, les trois quarts des modèles sont de fabrication française. (...) Vivre en escargot, c’est avoir tout sous la main, mais en miniature. Des banquettes de part et d’autre de la table-dînette, dont les coussins juxtaposés servent de matelas. La cuisine “à la française” placée au bout de l’habitacle ou “à l’européenne”, contre une paroi latérale. Les bouteilles de gaz escamotées dans un coffre. L’évier minuscule et pourtant bien pratique. »
De 2000 à nos jours :
« C’est en fait toute la maison qui se professionnalise, comme pour nous dispenser de tout recours extérieur. La cuisine ? Tracée au cordeau et suréquipée, elle n’est plus seulement “intégrée”. Elle ressemble à celle d’un restaurant (laquelle s’ouvre sur la salle pour que les convives se sentent comme à la maison). Idéalement, elle s’organise autour d’un “piano” noir en vitrocéramique, intégré dans un îlot central pourvu d’un plan de travail, voire d’un évier. On se réunit là, perché sur un tabouret, un verre de rouge à la main, pour assister à la performance de l’hôte-chef avant de casser la croûte. (...)
La baignoire, ce fantasme des années 1970, est peu à peu éliminée. Elle est remplacée par une douche de plain-pied, délimitée par une simple paroi de verre, qu’on dit “à l’italienne”. Les Italiens ignorent le sens et l’origine de cette expression, mais tant pis : elle importe chez nous un peu de l’art de vivre de l’Empire romain. »
Compilation : J.A
Visuel en haut à droite : ORTF - Aujourd'hui madame – reportage de 1974
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