La fabrique du mépris et de l’amnésie

Actualités - 19 avril 2022

« Si le commerce est avant tout la prise en compte des réalités d’un marché avec ses évolutions et ses contraintes », les fabricants ne doivent pas oublier qu’une « marque ne peut devenir “marque” a fortiori incontournable, qu’avec l’aide de ses distributeurs. » Aussi, plutôt doivent-ils leur rester loyaux et ne pas tomber ni dans l’opportunisme commercial destructeur de valeurs (fondamentales comme ajoutées), ni dans une politique dirigiste lésant les cuisinistes indépendants. Tels sont les constats sans langue de bois formulés et étayés ici par Marc Edel, dirigeant-fondateur d’Agensia-Demeter, de son point de vue de premier groupement de cuisinistes indépendants en France.

« De manière récurrente dans l’univers de la cuisine, des fabricants estiment être devenus une “marque” ou un acteur incontournable, ce qui entraine très souvent un changement radical dans leurs relations avec leurs clients distributeurs. Par là, il faut entendre “je suis celui qui fait venir les clients dans votre magasin ! ”.

Or, on ne naît pas marque ou acteur incontournable, on le devient au terme d’un process plus ou moins long qui se construit autour de produits, d’un mix-marketing et des distributeurs qui portent et partagent les mêmes valeurs et possèdent les compétences en cohérence avec le produit du fournisseur. La marque ne peut devenir “marque”  qu’avec l’aide des distributeurs qui soutiennent et cautionnent un produit totalement inconnu au départ.

Et puis, un beau jour, motivé par une étrange inspiration, le fabricant estime qu’il est devenu une marqueet qu’il n’a plus besoin de personne ou plus exactement, qu’il ne veut que des personnes qui se soumettent entièrement aux volontés de la marque, ou qui répondent aux nouveaux critères qu’il a fixés. Selon les fabricants, deux critères de sélection sont alors avancés pour démarrer ou cesser les relations avec un distributeur : le volume ou la mise en valeur préférentielle de ses produits.

Ronds de jambes et ronds de chapeau  

Il est possible de comprendre que des adaptations sont nécessaires, parce que le commerce est avant tout la prise en compte des réalités d’un marché avec ses évolutions et ses contraintes, mais deux contradictions méritent d’être soulevées. La première est celle où « la marque » ne respecte pas les nouveaux principes qu’elle a elle-même énoncés, par pur opportunisme commercial. C’est l’exemple d’un fabricant qui en France déclare que les groupements ne servent à rien et qui dans le pays voisin leur fait des ronds de jambe parce qu’il n’arrive pas à faire décoller les ventes de leur propre fait. La deuxième contradiction est celle de destruction de chiffre d’affaires des anciens clients en raison de l’application des nouvelles règles édictées par la marque.  Ces dernières ont pour but le développement du chiffre, mais dans la réalité, elle se traduit par la perte parfois importante de partenaires historiques. Cela relativise le gain de chiffre attendu de la mise en place d’une nouvelle politique de volume ou de sélection. Mais dans les deux cas, il s’agit d’une rupture avec d’anciens clients parce que la nouvelle politique est appliquée selon le principe du tout ou rien. Pourquoi l’ancienneté des clients “pionniers” ne serait-elle pas pris en compte pour une adaptation des règles ? Beaucoup de fabricants ont eu des exigences de “marque” pour finalement disparaître ou être rachetés à la suite de défaillances. Une marque, aussi forte soit-elle, dépendra toujours de la qualité de ses distributeurs. Mais quels sont alors les critères de qualité ? Sont-ils identiques du point de vue d’un fabricant, d’un distributeur ou d’un consommateur ?

Besoin de personne : vraiment ? 

Il faut noter les signaux de plus en plus nombreux de la part de fabricants, notamment dans l’électroménager, qui ouvrent des points de contacts directs avec les consommateurs, cela dans plusieurs pays. Le but, se passer des “intermédiaires” (moins de dépendance, plus de marge). Ces “show-rooms” sont présentés comme de merveilleux points de rencontres entre la marque, les consommateurs et les professionnels, mais en aucun cas comme des points de ventes directes.

Mais si l’on analyse attentivement, force est de constater un grand paradoxe entre l’attitude des marques à l’égard des cuisinistes indépendants et les nouveaux axes de partenariat. Plus besoin de personne, mais plus que jamais la course à la recommandation et la crédibilité via les grands chefs, les émissions télévisées, et bien sûr les fameux influenceurs. En fait, les marques auront toujours besoin de soutiens extérieurs humains : pour leur image et pour l’acte de vente, particulièrement dans le domaine de la cuisine sur mesure, acte de vente complexe dans lequel le produit n’est qu’une partie de l’équation et pas la solution. »

Le titre, l’introduction et les inters sont de la rédaction.

Visuel ci-dessus et musique en haut à droite : Edward Elgar - Pompe et circonstance no. 1

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