On connaissait l’exception culturelle française. Faut-il aussi parler d’exception industrielle pour la cuisine française, non pour résumer qu’à deux… exceptions près, elle ne domine pas son propre marché, pourtant le deuxième européen en volume et le premier en potentiel de taux d’équipement à combler, mais pour stigmatiser son absence de pénétration sur le marché allemand voisin, contrairement à celles d’autres secteurs d’activité qui y réussissent ?
À ceux qui l’ignorent, précisons que l’exception culturelle française désigne l’action conduite depuis la création en 1959 du ministère de la Culture confié à André Malraux, qui a vu la France mettre en place, par le biais d’un certain nombre de dispositifs législatifs et réglementaires concernant la création artistique dans le théâtre et le cinéma, d’un statut spécial pour les œuvres et la production audiovisuelles visant à les protéger des règles commerciales de libre-échange. Ainsi, quand elle le veut ou, plus cruellement (O tempora, o mores) quand elle l’a voulu, la France a pu et su défendre ses intérêts dans le concert des nations, expression jadis glorieuse devenue pompeuse, avec la perte concomitante de repères, de chefs d’orchestre tenant fermement la baguette et de l’idée de nation à défendre. De fait, d’aucuns rappelleront avec cynisme désabusé ou amertume consommée que la France avait alors quelque chose à défendre et qu’au cours des cinq décennies écoulées depuis l’acte fondateur réalisé par l’auteur de La voie royale, notre pays a emprunté le chemin glissant et fangeux jusqu’à l’ornière du renoncement rimant avec déclassement auquel il aboutit.
Taxés de déclinisme par les uns, ou salués pour leur clairvoyance par les autres, les mêmes contempteurs vigilants de la nonchalance programmatique estimeraient-ils aussi que la France n’a pas su faire acte de protection de son industrie au cours du même demi-siècle écoulé ? Sa part dans le PIB national a, il est vrai, inexorablement diminué pour atteindre 16,8 % en 2021, contre 26,6% en Allemagne et 22,6 % en Italie. Nous sommes donc classés au 3ème rang européen, et au 4ème en comptant le Royaume-Uni et ses 17,7 % (nonobstant une politique économique l’ayant également conduit à la réduction des activités du secteur primaire et à l’essor du tertiaire). On aura du mal à se consoler en ajoutant que la situation risque de se dégrader tout autant pour ces pays (hors Royaume-Uni ayant opté pour le Brexit en 2020) en raison de l’imposition de normes contraignantes pour l’application du Pacte vert de transition écologique, notamment celles, contrariant le bon sens commercial et obérant la santé financière des constructeurs automobiles (dont les groupes Volkswagen outre-Rhin et Stellantis ou Renault en France) et hypothéquant la pérennité de leurs nombreux fournisseurs des deux côtés de la frontière. Avec des conséquences funestes prévues sur l’emploi.
Publié le 12 janvier, un article du Figaro (lien à la fin de celui-ci) aborde ce sujet et signale des éléments intéressants pour nourrir la réflexion. On y apprend en effet que « le ralentissement (économique) outre-Rhin vient inévitablement peu à peu freiner l’activité économique sur tout le continent. C’est ce qui se passe en ce moment, la crise se propageant par la courroie du commerce entre pays. Et d’autant plus fort que l’Allemagne est le premier partenaire de pas moins de douze pays, dont la France et l’Italie. »
De notre côté de la frontière, on n’a donc aucune raison de se réjouir de la situation outre-Rhin, ceci d’autant plus que « les entreprises allemandes sont les premières fournisseuses et surtout les premières clientes de leurs voisines hexagonales. Ces dernières ont vendu, au total, l’année dernière, pour 82 milliards d’euros de biens outre-Rhin. » Stéphane Colliac, économiste chez BNP Paribas, enfonce le clou :« 40 % des exportations françaises vers l’Allemagne sont des intrants industriels. Le ralentissement allemand se transmet alors à la France par ces multiples sous-traitants dans l’automobile, la chimie, le plastique, le caoutchouc, l’électronique… ».
Ces informations amènent à se poser la question des raisons pour lesquelles l’industrie française de la cuisine ne réussit pas à séduire les consommateurs allemands, dont les réflexes ne sont donc pas si protectionnistes qu’on pourrait le croire, comme le démontrent les bons résultats d'autres secteurs manufacturiers français. Ce constat est d’autant plus regrettable que, outre de prendre à domicile un peu de la grande part de marché que leur prennent en France leurs concurrents allemands, l’activité commerciale des fabricants français ne serait pas affectée par le recul ou la stagnation de l’industrie germanique, les ensembles de cuisine équipée n’étant pas des produits de sous-traitance.
Jérôme Alberola
Source : Le Figaro
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