Economie : Triple A, double jeu ?

Actualités - 06 janv. 2012

 

Cela fait plusieurs semaines que trois lettres, rassemblées dans une absconse formule dite de « triple A » font l’actualité et jettent le trouble sur une situation déjà bien floue. Pour ne pas dire brumeuse, obligeant acteurs politiques et opérateurs économiques à naviguer à vue. Pas la peine de revenir en détail sur ce que signifient ces trois lettres : rappelons simplement qu’il s’agit de la note maximale attribuée par les agences de notation américaines (Moody’s, Standard & Poor’s) ou française (Fitch, détenue à 60 % par la holding française Fimalac). Ce système de notation pourrait rappeler les bons points délivrés par les instituteurs paternalistes de la communale, s’ils ne servaient pas à conforter le pouvoir d’influence de la finance supranationale sur les états, avec une dérive permettant à la première d’orienter à son avantage exclusif la politique socioéconomique des seconds, jusqu’aux excès et dégâts récente que l’on connaît sous le nom de crise financière. Car qui dit bon point pour les disciplinés, dit coup de règle sur les doigts des turbulents qui perturbent la classe : à savoir dégradation de la note accordée par l’agence, sanction menaçant telle l’épée de Damoclès de tomber sur la France depuis l’automne. Certains esprits libres ont alors rappelé que notre pays s’est passé pendant longtemps des réprimandes des agences, ce qui ne l’a pas empêché de s’assurer trois décennies dorées, bien connue sous le nom de Trente Glorieuse. Que nenni, ont rétorqué les économistes et autres experts, porte-parole et idéologues d’un système libéral qui nous promettait la croissance éternelle, mais aussi membre du gouvernement en place (et craignant sans doute les mêmes foudres des agences qui ont débarqué successivement - et sans élection populaire - les Premiers ministres grec et italien) : si nous venons à perdre notre triple A, nous serons obligés d’emprunter plus cher, ce qui creusera encore déficit et dette. La tendance aurait déjà été amorcée depuis plusieurs mois. Nous ferions bien de trembler et d’invoquer la clémence des agences de notation.    

 

Les faits démontrent pourtant le contraire : alors que la crise de la dette européenne s’est aggravée en 2011, que les agences Standard & Poor’s puis Fitch ont mis sous surveillance le triple A de l’Etat, la France emprunte aujourd’hui légèrement moins cher qu’en début d’année. Sur le marché obligataire, le taux français à 10 ans a terminé hier à 3,1 %, un taux  nettement inférieur à la moyenne des dix dernières années (4,15  %). Le Figaro du 31 décembre donne plusieurs explications. « Les nouvelles règles prudentielles s’appliquant aux banques et aux assurances les incitent à accroître la part des obligations d’Etat dans leurs portefeuilles, au détriment notamment des actions. En outre, en ces temps incertains, les investisseurs préfèrent jouer la sécurité avec les emprunts d’Etat. Les risques de ne pas être remboursés sont très limités. « Bref, il existe une masse d’argent à placer en obligations. Or l’Allemagne ne peut pas tout absorber », explique Laurence Boone, directrice de la recherche économique chez Bank of America Merrill Lynch ». Si l’écart de taux s’est creusé des deux côtés du Rhin, « l’Hexagone n’est pas boudé pour autant. Et comme les taux allemands ont plongé, ceux de la France ont pu rester bas.  En revanche, l’Italie a vu ses taux à dix ans augmenter, même si la hausse n’a pas été aussi violente qu’en Grèce ou au Portugal, l’économie italienne étant plus solide. Plus étonnant, l’Espagne a été préservée de ce mouvement de hausse. Hors de la zone euro le Royaume-Uni semble défier les lois de l’économie, empruntant à peine plus cher que l’Allemagne, alors que son déficit public est élevé. C’est que la banque d’Angleterre, contrairement à la Banque centrale européenne, rachète massivement des obligations d’Etat. Le Royaume-Uni bénéficie d’une prime car il peut mener une politique monétaire plus souple à celle de ces voisins européens (dévaluation de la Livre si besoin pour faciliter ses exportations).

 

CQFD. Ce ne sera pas la première fois que les agences de notation se sont trompées, lourdement parfois : avant la crise des subprimes qui a déclenché le marasme actuel, Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch ont pendant plusieurs années accordé le fameux triple A aux placements de type CDO avant de se rendre compte qu'il fallait brutalement abaisser la note. Toujours en 2008, la banque d’investissement multinationale Lehman Brothers était notée A, la veille de son effondrement dont on sait les conséquences. Récemment Franck Pellé, directeur général d’Eberhardt (marques Liebherr, Falmec, Baumatic), soulignait petinemment que « les mêmes « experts » qui prévoyaient un cataclysme après le 11 septembre 2001, n’ont rien vu venir en 2008 et prévoyaient une reprise en 2011. Aussi pourraient-ils se tromper dans leurs pronostics 2012. En tout cas, nous ferons tout pour les faire mentir ! »

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