Que diriez-vous de vous installer au poste de pilotage d’un Rafale et, combinant le sensationnel à l’utile, de mieux comprendre comment bien gérer votre entreprise dans les situations d’urgence ou compliquées, en dominant votre stress et les autres contingences survenant alors ? C’est ce que propose Vincent Berthelot, ancien chef de patrouille sur la version Marine de cet avion de chasse exceptionnel, et aujourd’hui conférencier de talent auprès des entreprises et des organismes. Entretien exclusif pour prendre de la hauteur et réagir vite, très vite. Et bien.
Culture Cuisine : Vous êtes régulièrement consulté pour la gestion des décisions à prendre. En quoi un pilote de chasse émérite peut-il servir d’exemple et donner des conseils en matière de gestion d’entreprise ?
Vincent Berthelot : « Tout d’abord, je tiens à préciser qu’un chef de patrouille, c’est-à-dire le leader d’un vol constitué de plusieurs avions de chasse, ne prend pas de « meilleures décisions » qu’un chef d’entreprise : à l’instar de n’importe quel autre décideur, le pilote de chasse essaie de faire des choix « au plus juste », en s’appuyant à la fois sur des préparations de mission méthodiques (à savoir : tenir compte du contexte, anticiper les aléas…) et sur son propre vécu (à savoir : valoriser le retour d’expérience, avoir recours à l’intuition…). En revanche, ce que l’on expérimente peut-être davantage dans un Rafale, qui plus est au combat, c’est la découverte de nos propres limites et des parades, individuelles et collectives, qu’il va falloir mettre en place pour « faire avec » et réussir à atteindre nos objectifs malgré tout : c’est ce regard-là que j’apporte aux entreprises. »
Culture Cuisine : Savoir gérer une situation de stress est toujours utile lorsqu’on exerce des responsabilités et que l’on traverse a fortiori une période de crise. Mais gouverner, c’est prévoir. Lors de vos conférences, vous donnez quelques clés, apprises lors de votre formation de pilote de chasse et qui permettent de prévenir une telle situation. Pouvez-vous les rappeler ?
Vincent Berthelot : Entendons-nous, on pourra toujours essayer de tout anticiper, mais force est de constater que ça ne se passe jamais comme prévu (rires) ! En tout cas dans les environnements complexes où l’incertitude règne. Gouverner, décider, c’est accepter le stress comme compagnon de voyage. En termes de gestion de crise, l’idée maîtresse est de parvenir à rester lucide quand les stresseurs – physiques, mentaux, sociaux… – entrent en jeu. J’ai effectivement développé plusieurs outils au cours de ma carrière, dont un que j’ai appelé S.C.A.N.* et qui permet de réussir à se reconcentrer quand notre attention « vagabonde », à cause de nos propres pensées ou émotions notamment. Honnêtement, nous sommes tous concernés : la gestion du stress et de la charge mentale n’a jamais été autant un besoin qu’aujourd’hui.
Culture Cuisine : On pense souvent que les situations de stress doivent se régler dans l’urgence. Quelles sont les parts de la réactivité et de la réflexion dans la prise de bonnes décisions, lorsqu’on est dans un cockpit ou à la tête d’une entreprise ?
Vincent Berthelot : Je dis souvent que « le contexte commande ». Autrement dit, c’est l’environnement ou le système dans lequel vous évoluez qui bat la mesure. Dans un Rafale, l’échelle de temps est parfois la seconde, dans un bureau, c’est différent. Normalement. Si certains parlent néanmoins de « contrainte temporelle », je préfère considérer le temps comme une donnée d’entrée : de combien de temps est-ce que je dispose pour prendre telle ou telle décision ? Plus vous aurez de temps, plus vous pourrez raisonner. Ce qui est certain, c’est qu’il faut faire l’effort, quelle que soit la temporalité des choses, de sortir de ce mode automatique qui pousse à réagir à chaud, sans aucun recul ; à l’inverse de ce que nous voyons malheureusement quotidiennement sur les réseaux sociaux…
Culture Cuisine : On entend aussi que le stress peut avoir des vertus, lorsqu’il est transformé en vecteur de motivation ou de remobilisation pour se sortir d’une situation pénible, née parfois d’une certaine apathie au cours de la période précédente. Qu’en pensez-vous et avez-vous déjà vu le phénomène se produire au cours de votre expérience ?
Vincent Berthelot : Oui, je connais cette théorie (rires). Ne nous trompons pas de débat. Le stress ressenti est avant tout une réponse physiologique à un ou des stresseurs. « Naturellement bon », il nous renvoie à notre cerveau reptilien qui a permis à la plupart de nos ancêtres de réagir face au lion et ne pas se faire dévorer. Pour les autres, un stress excessif, dit dépassé, les aura transformés en goûter. Mais plutôt que de parler de stress dans notre quête de la performance, je préfère évoquer les notions d’intention et d’engagement. Dit autrement, en tant que chef, je ne vais pas « pousser » mes équipes à atteindre les objectifs annuels, je vais les mobiliser en leur donnant un cap à suivre, dans un cadre défini avec le bon niveau de responsabilisation et d’autonomie. Alors oui, le stress apparaîtra ici ou là mais il ne sera qu’une conséquence normale de notre rapport aux choses (la peur de l’inconnu, le regard des autres…). Encore une fois, apprenons à faire avec. »
Propos recueillis par Jérôme Alberola
* Le S.C.A.N est un outil définir dans l’ouvrage Les 6 piliers de la coopération de Vincent Berthelot, paru aux éditions DUNOD (2023).
Bio express
Vincent Berthelot a passé la moitié de sa vie au sein de l’aéronautique navale. Chef de patrouille sur Super-Etendard Modernisé puis sur Rafale Marine, il est chevalier de la Légion d’Honneur et décoré de la Croix de la Valeur Militaire avec citations pour ses missions en Afghanistan, en Libye, en Irak et en Syrie. Aujourd’hui, il intervient comme formateur et conférencier sur les thématiques du leadership, de la coopération et de la gestion de la charge mentale, au sein notamment de The Trusted Agency fondée par Laurent Combalbert.
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