Paris gèle-t-il ?

Actualités - 29 sept. 2020

 

Paris gèle-t-il ?

Loin du contexte du film de René Clément, un article du Canard Enchainé révèle la fermeture inquiétante de nombreux magasins dans la Capitale, sans repreneur mais avec une baisse inédite du prix des loyers. Gérant de deux magasins situés aux Halles (next125) et boulevard Raspail (Armony), Olivier Lesecq confirme le phénomène.

 

Le fameux journal du mercredi n’y va pas avec le dos de la cuillère et on préférerait que ses propos soient davantage satiriques, à l’image de la ligne éditoriale qui a bâti sa renommée. Or, les extraits qui suivent sont empreints d’un réalisme d’autant plus inquiétant que les constats qu’il dressait à la mi-août, au moment de la parution de l’article, ont aussi fait l’objet de reportages dans quelques journaux télévisés en cette rentrée de septembre.

 

« Les rues de Paris vont-elles bientôt ressembler aux nombreux centres-villes de province qui, depuis des années, alignent des panneaux” à louer” et “ à vendre” sur des kilomètres de boutiques fermées. Les 62 000 commerçants de la capitale redoutaient déjà une Bérézina durant l’interminable crise des gilets jaunes. Avec le covid-19, c’est l’hécatombe qui menace ». (...) 

En mai-juin, le phénomène touchait surtout les rues les moins cotées. Il s’est, depuis, étendu aux grandes artères parisiennes les plus courues, telles la rue de Rivoli et les avenues Victor Hugo ou de l’Opéra. » (...) « Les quartiers touristiques s’avèrent les plus malmenés. Malgré le déconfinement, les magasins de souvenirs enregistrent une dégringolade de leur chiffre d’affaires de près de 100 %. C’est à peine mieux pour les enseignes de fringues (sic), dont la chute des ventes avoisine 60 %, voire 70 %. Seules surnagent certaines boutiques de produits alimentaires - bio de préférence - et les troquets ou restos bien situés dans les quartiers bobos. “En l’espace de quelques semaines, les délais de commercialisation ont doublé : il faut compter désormais entre 7 et 8 mois pour trouver le locataire d’une boutique” gémit un agent immobilier. Les prix suivent le mouvement, avec une baisse de 15 à 20 % inédite à Paris. Ce n’est sans doute que le début. “ Le mouvement de vérité, ce sera la fin de l’année : si le commerce n’a pas redémarré d’ici là, cela va tourner au carnage” prédit le patron d’une importante société immobilière. »

 

Précisons que le journal ajoute à ce sinistre tableau le fait que le marché des bureaux connaît les mêmes affres, notamment provoqué par le développement du télétravail à Paris (comme partout d’ailleurs), avec pour effets pervers de priver les boutiques alentours d’une clientèle habituellement régulière. Si le secteur de la cuisine équipée connaît, dans la première ville de France comme partout d’ailleurs - bis repetita - un solide et attendu rebond post-déconfinement, il nous a paru intéressant de demander à un cuisiniste de réagir à l’article du Canard Enchaîné. Voici la réponse d’Olivier Lesecq, gérant de deux magasins situés dans deux quartiers commerçants fréquentés (les Halles avec next125 et le boulevard Raspail avec Armony).

 

 

« Le constat dressé par l’article du Canard Enchaîné est réel, qu’il s’agisse des boutiques de souvenirs de tourisme à Paris qui ont subi cet été une forte baisse de fréquentation, ou des hôtels haut de gamme et de luxe dont la plupart étaient encore fermés début septembre. L’absence de touristes américains et chinois se fait ainsi cruellement sentir en raison de la crise du covid-19. L’immobilier, qu’il soit d’habitation ou commercial, a quant à lui connu une véritable flambée des prix qui l’a amené à un pic avant que la capitale connaisse successivement la crise des Gilets jaunes, de l’hiver 2018 au printemps 2019, les grèves de la SNCF et de la RATP durant l’hiver 2019 et la crise sanitaire du covid-19 avec le confinement général de mars à mai dernier. Tout cela a paralysé Paris, et pas seulement son centre, pendant une période exceptionnellement longue, ce qui a entraîné mécaniquement une baisse importante du chiffre d’affaires des commerces dans tous les secteurs d’activité, jusqu’à provoquer la fermeture de nombreux magasins, y compris dans le domaine de l’ameublement. C’est le cas d’une surface de vente de 700 m2 dans la rue de mon magasin des Halles et qui n’a toujours pas trouvé de repreneur depuis un an et demie. Auparavant, une telle surface située à cet endroit aurait été rapidement occupée par une nouvelle enseigne. Mais, en raison des prix stratosphériques atteints par l’immobilier parisien, les investisseurs sont non seulement peu enclins à se lancer, mais aussi capables de le faire financièrement. Les bailleurs demandent en effet un an de loyers en garantie bancaire ainsi que le règlement d’un trimestre en dépôt de garantie. Il faut ajouter à cela la nécessité de consacrer un budget important pour réaliser des travaux pendant plusieurs semaines, et que ces derniers sont entravés par la circulation automobile de plus en plus restreinte qui pénalise ensuite la fréquentation des clients et prospects. On comprend alors mieux la situation décrite par l’article du Canard Enchaîné, et que confirment nombre de mes relations travaillant dans le domaine de la vente ou la location de commerces. »   

 

Propos recueillis par J.A

Visuels : Le Canard Enchaîné (aout 2020) et affiche du film Le jour d’après de Roland Emmerich (2004)

 

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