Le métier de cuisiniste était-il mieux avant ?

Actualités - 20 avril 2021

Vaste question générée par les nombreux retours très positifs reçus par Bruno Haccoun après avoir posté sur Linkedin une perspective à la main, dessinée il y a plus de 30 ans et qui a été vue plus de 13 000 fois en une semaine. Y a-t-il dans la profession une nostalgie pour un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ? Et, plus prosaïquement, en s’informatisant, le métier a-t-il perdu de son caractère humain ?

Culture Cuisine : Pourquoi avez-vous posté le visuel de perspective à la main sur le réseau professionnel Linkedin ?

Bruno Haccoun : « Je suis aujourd'hui agent régional pour la marque Chabert Duval, mais j'ai une carrière de 40 ans dans le monde de la cuisine équipée. En rangeant quelques affaires personnelles récemment, j'ai retrouvé des perspectives à la main que j'avais dessinées il y a plus de 30 ans et j'ai eu envie de partager les souvenirs et les émotions que cela avait suscités. J'ai choisi celle-ci parce qu'elle m'a paru être la plus originale et qu’elle rappelle qu'auparavant il se vendait de nombreuses cuisines en bois qui exprimaient le savoir-faire des fabricants français. Ce matériau naturel marque actuellement son retour sur le marché français, sous les formes plus contemporaines - le chapeau de gendarme étant daté - à la faveur d’une mode privilégiant le vintage.

Culture Cuisine : Vous attendiez-vous à recevoir autant de réactions positives ?

Bruno Haccoun : Absolument pas ! En une semaine, ce post a ainsi été vu plus de 13000 fois et a reçu plus de 70 commentaires, la plupart d'entre eux émanant sans doute de professionnels aussi âgés que moi, se réjouissant que cette perspective à la main leur rappelle le bon vieux temps. La publication de ce visuel a provoqué une vague de nostalgie pour une époque et une façon de travailler qui sont toutes les deux révolues aujourd'hui. Il y a eu ces dernières décennies une évolution de la distribution de cuisine équipée qui a conduit les concepteurs dessinateurs à uniformiser leur travail afin de le réaliser plus rapidement. Cette course au volume et au profit a aussi généré une aseptisation et une perte de l'approche humaine du travail des cuisinistes, donc de ce qui fait à la fois sa spécificité et sa marque de distinction par rapport aux grandes surfaces. Réaliser une perspective sur papier à la main nécessite un temps et un soin importants qui traduisent la volonté de répondre au mieux aux besoins spécifiques de chaque client. Et celui-ci y est sensible, parce qu’il se sent réellement considéré tout au long de la phase de découverte et de conception personnalisée de sa cuisine, et non pas traité comme un simple consommateur lambda.  

Culture Cuisine : Les rendus des perspectives des nouveaux logiciels sont confondants de réalisme. Cependant, en s’informatisant, la pratique du métier de cuisiniste n'a-t-elle pas perdu un peu de son caractère humain ?

Bruno Haccoun : D'une certaine manière, oui car les logiciels sont devenus comme des jeux vidéo, ce qui a tendance à diminuer les compétences spécifiques et le sérieux des cuisinistes qui étaient au départ de véritables artisans. Un des autres effets pervers de l'utilisation massive et généralisée des logiciels de dessin est qu'ils nourrissent une confusion ou une perte de repères dans l'esprit des consommateurs. Ainsi ne voient-ils pas vraiment la différence entre le travail des cuisinistes traditionnels et celui des grandes chaînes spécialisées, des grandes surfaces généralistes de l'ameublement ou de bricolage qui répondent à une autre logique économique de développement, en s'inscrivant dans un marché de volumes. Les gérants de magasin de cuisine me remontent souvent le fait que leurs prospects réalisent 6 ou 7 devis avant de finir par acheter leur cuisine dans une grande surface. Heureusement, de nombreux cuisinistes refusent de rentrer dans la logique de la vente de cuisines à la chaîne et considèrent le facteur temps comme un critère essentiel de leur métier. Ces professionnels continuent d’exercer leur métier avec passion et s'en sortent mieux dans les affaires. Ce n’est pas un hasard et le buzz provoqué par la publication de ma perspective à la main montre bien qu'il y a encore une volonté des cuisinistes traditionnels de bien faire savoir leur savoir-faire. »

Propos recueillis par J.A   

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