Quels dysfonctionnements du marché ?

Actualités - 24 févr. 2015

Culture Cuisine : Lorsque nous vous avons sondé pour notre baromètre d’opinion publié vendredi dernier, vous nous avez fait part de dysfonctionnements sur le marché de la cuisine et que subissent particulièrement les magasins spécialisés indépendants. Qu’en est-il exactement ?

M. Botaiolli : Ces dysfonctionnements sont au nombre de trois. Le premier concerne l’excessive démocratisation de la cuisine équipée en France. Auparavant, les acheteurs de cuisines se faisaient plaisir en s’équipant de modèles haut de gamme qui leur permettait de réaliser un rêve de confort ménager autant fonctionnel qu’esthétique, tout en concrétisant leur ambition de statut social. C’est pourquoi ils estimaient normal d’y consacrer des budgets importants et de s’adresser à de véritables spécialistes de l’aménagement de cette pièce aux contraintes particulières. Les choses ont radicalement changé lorsque les médias ont commencé à véhiculer l’idée qu’acheter une cuisine Ikea était un acte de consommation branchée, pas tant en raison du design des modèles de l’enseigne suédoise que de l’idée selon laquelle acquérir une cuisine à petit prix était un réflexe malin, et que par extension du raisonnement chacun devait posséder sa cuisine équipée. A partir de là, répondant à cette injonction médiatique et à cette nouvelle exigence consumériste, de nouvelles enseignes se sont créées partout en France et ont pris des parts de marché importantes. Cette évolution a eu pour conséquence néfaste d’abaisser considérablement le prix d’achat d’une cuisine estimé normal par le grand public, et par voie de conséquence de faire passer les cuisinistes pour des magasins pratiquant des marges trop élevées. Dans le même temps, s’est créée une confusion dans l’esprit des consommateurs, ne sachant plus faire la différence entre des prestations complètes de spécialistes cuisine et la simple vente d’ensembles de mobilier par des enseignes généralistes de l’ameublement. Peut-être ce phénomène s’inscrit-il dans une évolution générale de consommation, selon laquelle les gens préfèrent acheter des biens à petits prix sans se soucier de leur qualité ou de leur longévité ? Quelle que soit la réponse, je ne peux que constater que les acheteurs de cuisines négocient de plus en plus les prix, tout au long de l’acte d’achat, y compris au moment de régler le solde. De même, certains prospects me demandent des devis et les mettent en concurrence avec ceux qu’ils ont fait réaliser chez Hygena, enseigne qui n’a absolument rien à voir en termes de qualité avec la marque Armony que je référence. La démocratisation de la cuisine équipée était nécessaire en France, mais elle a eu des dérives excessives qui ont dévalorisé à la fois les produits et les services de conseils et d’installation qui y sont attachés.  

 

 

Culture Cuisine : Vous alertez aussi sur un dysfonctionnement concernant les marques d’électroménager encastrables…

M. Botaiolli : Tout à fait. Les cuisinistes subissent de plus en plus une concurrence de la part des enseignes généralistes de l’électroménager et des sites Internet de vente. Cette concurrence est de plus en plus dure et mise en avant par nos prospects et clients. De fait, comment peut-on les blâmer, lorsque nous nous apercevons qu’ils ont acheté un appareil moins cher que nous-mêmes nous devons le payer chez notre fournisseur. J’ai ainsi le sentiment que les marques d’électroménager considèrent les cuisinistes comme un circuit de distribution comme un autre pour écouler leurs produits, et que ce qui compte pour elles est simplement le volume global de ventes qu’elles réalisent à l’échelle nationale. Cette volonté de vendre toujours plus ne serait pas contestable, si elle se réalisait avec discernement pour considérer les spécificités de chaque réseau de revente. Ce problème concerne aussi les grossistes en électroménager qui n’arrivent pas non plus à exercer leur métiers dans de bonnes conditions, le mien m’ayant déclaré récemment vouloir changer éventuellement de profession car il court à la catastrophe si rien ne change rapidement. De mon côté, je ne peux que déplorer le fait qu’un nombre croissant de consommateurs entrent dans mon magasin pour acheter des ensembles de mobilier sans aucun appareil. Le même constat commence à se faire également pour les plans de travail.

 

 

Culture Cuisine : C’est le troisième dysfonctionnement dont vous vouliez parler…

M. Botaiolli : En effet, les fabricants de plans en marbre et en granit baissent leur prix régulièrement pour conserver des parts de marché et nous demandent de faire de même pour pouvoir écouler leurs marchandises. Si nous le faisons, nous n’avons alors plus de marge sur un produit de complément qui nous assurait jusqu’à présent une valeur ajoutée. Le problème est que certains fabricants ou grossistes de plans de travail proposent leur service directement auprès du grand public, n’hésitant pas à envoyer des équipes pour réaliser les coupes sur mesure, ceci pour proposer un prix final encore réduit et forcément plus attractif que celui que nous proposons. Ce procédé nous fait perdre, dans ce domaine aussi, des ventes essentielles pour notre activité.   

 

Culture Cuisine : Etes-vous inquiet pour l’avenir de la profession de cuisiniste ?

M. Botaiolli : Oui, car nous assistons depuis 20 ans à la disparition en France des classes moyennes qui constituent le moteur de croissance de notre économie et particulièrement le vivier de notre clientèle. Cet affaissement des classes sociales et de leur pouvoir d’achat va accroître le poids des grandes surfaces généralistes aux dépens des cuisinistes indépendants multimarques, comme des magasins sous enseigne de fabricants qui devront vendre toujours plus et à marges toujours réduites pour faire tourner des vastes usines concevant aussi des gammes pour les mêmes grandes surfaces. Les deux groupes leaders français sont ainsi déjà actifs dans divers circuits de distribution. Seul le segment haut de gamme sera préservé mais uniquement dans les quartiers bourgeois des villes importantes ».

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